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Reportage photo Sylvia Galmot

« Aujourd’hui, je suis libre de choisir »

Infatigable militante, Diaryatou Bah a fait de son histoire une force. Excisée à 8 ans, mariée à 13 ans, exilée à 14 auprès d’un mari violent et polygame, elle a fait la paix avec son passé pour mieux forger un futur radieux. Le sien, celui de ses enfants et de toutes les femmes comme elle.

Bonjour Diaryatou, pouvez-vous nous parler de vous ?

J’ai 35 ans et je suis d’origine guinéenne, j’y ai passé mon enfance. À 8 ans, j’ai été excisée. Puis à 13 ans, j’ai croisé un homme qui m’a dit « je vais te marier ». À l’époque, une femme n’était bonne qu’à se marier et faire des enfants. Cet homme vivait en Hollande, il proposait d’emmener mon frère en même temps. C’est ce qui a convaincu mon père. J’ai servi de monnaie d’échange pour permettre à un homme d’aller en Europe. J’avais 14 ans, lui 45 ans et déjà plusieurs femmes. Je me suis retrouvée à Amsterdam avec un inconnu qui m’a battue dès le début. De quatorze à seize ans, j’ai vécu livrée à moi-même, souvent enfermée durant des semaines dans l’appartement qu’il quittait pour aller voir ses autres femmes. J’ai perdu mon premier bébé à 14 ans et demi, le deuxième est mort-né à neuf mois de grossesse. Après trois ans, il m’a emmenée en France dans un studio sans eau chaude ni chauffage, et j’ai perdu mon troisième bébé. Là, j’ai commencé à prendre conscience que si je continuais, j’allais y laisser ma vie. Mais remettre en question le poids des coutumes est difficile. J’avais grandi avec l’idée qu’une femme doit être soumise. Dans une famille traditionnelle, le choix n’existait pas.

Quel a été votre déclic ?

Cinq jours après la perte de mon troisième bébé, mon mari est parti en Afrique pour le baptême de l’un de ses enfants. Je suis tombée sur un reportage télé dans lequel des femmes témoignaient des violences qu’elles avaient vécues. J’ai alors compris que je n’avais pas que des devoirs, mais aussi des droits ! Je parlais à peine français, mais j’ai noté « AS » sur un papier. Une voisine bienveillante m’a orientée vers la mairie, où on m’a consacré des heures pour m’aider à comprendre le sens de cet acronyme : assistante sociale. Les services sociaux ont été contactés en urgence, et une association m’a immédiatement soutenue.

Comment êtes-vous partie ?

L’association me conseillait de partir pendant son absence. J’ai préféré l’affronter. Je lui ai dit que s’il ne me laissait pas partir, il risquait vingt ans de prison. En réalité, je n’en avais pas la moindre idée ! Mais ça a marché. J’ai passé six mois dans la rue, puis en 2005, grâce au travail des associations, j’ai obtenu mes papiers. De 18 à 21 ans, j’ai enfin pu me poser dans un foyer. J’ai appris à lire et à écrire, à parler français, je me suis formée à prévenir et gérer ce genre de situations. Et j’ai décidé de témoigner. En 2006, on m’a aidée à écrire un livre, « On m’a volé mon enfance ».

C’était votre façon de guérir ?

Oui ! Je voulais donner une leçon à cet homme. Lui prouver qu’on pouvait être frappée, violée, maltraitée et s’en sortir malgré tout. Mais je ne voulais pas être dans la haine, je n’ai pas voulu l’envoyer en prison. J’ai préféré me battre pour briser le cycle, à commencer par celui de ma famille. J’ai lutté pour que les filles puissent aller à l’école, choisir leur vie et leur mari. J’ai mené des campagnes de sensibilisation sur l’excision en Guinée, milité et créé des associations. L’excision existe toujours, mais les mariages ne sont plus imposés dans ma famille. Au fil de mon parcours, je suis tombée sur des gens formidables, des assistantes sociales, des éducatrices. Je m’en suis sortie grâce à ces personnes, et je veux transmettre la même bienveillance, le même courage à d’autres.

Où en êtes-vous aujourd’hui ?

Je suis médiatrice et animatrice depuis 2013, et je suis fière de mon parcours. Mon histoire, c’est mon héritage, mon identité. Je veux en garder ce qui est beau, la générosité, le sens du partage de mon enfance, pour que mes propres enfants puissent s’approprier cette identité. J’ai moi-même deux enfants, un garçon et une fille, ainsi qu’un compagnon. Je suis autonome. Je suis libre de choisir. Et ma fille sera elle aussi autonome, libre de choisir son mari et armée pour la vie qui l’attend.

Quel message aimeriez-vous transmettre aux femmes qui vivent des situations difficiles ?

Un message de force et d’espoir ! Ne soyez pas dans la haine qui détruit. Chacune doit trouver en elle-même ce qui la libère, sa façon de se reconstruire, de s’apaiser. Pour moi, c’était de témoigner et d’aider d’autres femmes. C’était une renaissance. Quand j’ai perdu mon père, mon ex-mari a tout tenté pour me recontacter. Il voulait mon pardon. Il disait avoir besoin de l’entendre, parce que j’aurais pu le détruire et que je ne l’ai pas fait. Je lui ai pardonné. Moi, ce qu’il m’a fait, je le lui laisse. Je préfère lutter pour moi, pour mes enfants, et pour les femmes en souffrance. Aujourd’hui, je suis actrice de mon destin.

Victimes ou témoins de violences faites aux femmes, des solutions existent.

Photo Sylvia Galmot

« La réparation est possible »

« Ma bouche de métal ne m’empêche ni d’embrasser la vie, ni de continuer à aimer les hommes. » Voilà comment Sandrine Bonnaire résume aujourd’hui le chemin qui l’a menée à la création de son association, La Maison des Âmes.

Rien, dans les quatre ans partagés avec son compagnon de l’époque, n’a laissé présager ce qui s’est produit. Ce soir-là, lorsque la dispute s’envenime, il se jette sur elle, la plaque au mur et la strangule jusqu’à ce qu’elle perde connaissance. Elle se réveille allongée sur le flanc deux mètres plus loin, en sang. Il lui affirme qu’elle est tombée. Dans le miroir, l’actrice découvre son visage déformé, sa langue déchirée, ses huit dents cassées et une plaie de cinq centimètres sous le menton. Une triple fracture de la mâchoire lui sera diagnostiquée aux urgences où l’emmène son beau-frère, alors que son compagnon s’obstine à prétexter une chute d’un hôpital à l’autre, jusqu’à ce qu’elle le congédie.

Opérée en urgence, elle reste paralysée durant plus de deux mois, alimentée à la paille puis soumise à de longues séances de rééducation. Lorsqu’elle consulte un spécialiste, il confirme ses doutes : une simple chute n’aurait pas pu provoquer la blessure. Elle porte plainte. Convocation, confrontation, mensonges. Le premier procès aboutit à une condamnation à deux ans de prison avec sursis assortis d’une indemnité financière, une peine à laquelle l’appel du procureur ne changera rien. L’agresseur fait lui aussi appel, puis abandonne, ce qui le rend, de fait, coupable. Il ne livre pourtant aucune explication sur ce qu’a subi l’actrice durant ces quelques minutes d’inconscience. Le second jugement confirme le premier. Quatre ans d’analyse, la volonté de parler et un entourage à l’écoute auront aidé l’actrice à s’en sortir, en dépit des douleurs qui subsistent et des plaques en titane dans sa mâchoire. Sa plus grande souffrance n’est d’ailleurs pas son propre traumatisme, mais celui de sa fille de 7 ans à l’époque des faits, à laquelle elle a d’abord tu la vérité en pensant la protéger. Jusqu’à comprendre, au contraire, que les bons mots la libéreraient.

En 2019, son engagement sort de la sphère privée lorsque l’histoire se répète. Sa nièce subit une agression similaire. Des coups au visage, la volonté de détruire, une autre génération mais la même violence. L’envie d’agir est là, participer à la marche des femmes du 23 novembre 2019 est une évidence. Interviewée, l’actrice assume et raconte. Depuis, elle travaille à la création de son association, La Maison des Âmes, avec des partenaires merveilleux, femmes et hommes, dit-elle, et l’espoir de réparer les âmes sans clivage de genre. Son message ? « Parlez, portez plainte, envoyez l’autre à la barre des accusés. C’est à lui d’avoir honte. Le traumatisme ne disparaît pas complètement, mais la réparation est possible. Retrouver goût à la vie, aussi. »

> lamaisondesames.com

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