« Aucune femme n’est jamais coupable, complice ou responsable »
Victime de violences conjugales dès ses 16 ans, Marie aura vécu sous emprise jusqu’à l’âge de 24 ans. Désormais mère de deux adolescents, heureuse en mariage et autrice radieuse de 42 ans, elle prouve jour après jour qu’une vie épanouie existe après la violence.
Marie, pouvez-vous nous raconter votre histoire ?
J’ai rencontré mon premier petit ami à seize ans, dans ma classe. J’étais très autonome, pas forcément intéressée. Lui était plus investi. Dès le départ, je me suis placée en position de retrait, je ne savais pas vraiment comment dire non, j’avais peur de le blesser. Les manipulations ont commencé très tôt, d’abord psychologiques. Puis les premiers coups sont arrivés, en même temps que les déclarations d’amour. Quoi que je fasse, j’avais tort, que je parle ou que je me taise. J’étais la femme de sa vie et la dernière des traînées. J’ai cru que c’était ça, aimer quelqu’un. Après quelques mois, il a décidé que nous avions besoin d’autres expériences. En clair, il conservait tous ses droits sur moi, mais se réservait la possibilité d’aller voir ailleurs en m’envoyant jouer les rabatteuses. Ce qu’il a fait à maintes reprises les années qui ont suivi, au lycée, puis à la fac et dans la colocation que nous partagions. Chaque nouvelle fille que je lui ramenais me détruisait un peu plus. J’entendais tout, je supportais tout, j’étais invisible. J’avais l’impression d’être hors du temps, dans un autre monde. Et pourtant pas une fois, en huit ans, je ne me suis considérée comme victime de violences conjugales.
Comment avez-vous réussi à sortir de cette impasse ?
En parlant ! Personne ne se doutait de quoi que ce soit. Il avait l’image du garçon parfait, auprès de mes proches comme de nos amis communs. Lorsqu’il a dû rejoindre sa famille pendant nos vacances, je me suis exceptionnellement retrouvée sans lui, en tête à tête avec un cousin plus âgé. Je le connaissais peu, mais je savais qu’il avait souffert, peut-être que nos fêlures internes ont résonné. Sitôt que j’ai commencé à parler, tout est sorti. Et à mesure que je me confiais, je réalisais la violence de ce que je vivais. Il a fallu que je mette des mots dessus pour comprendre à quel point ma situation n’était pas normale. Lui n’a pas douté de ma parole une seconde. À partir de là, c’était clair dans ma tête. J’ai appelé mes parents, j’ai tout raconté. Ils sont tombés de haut, mais eux non plus n’ont pas mis ma parole en doute, et leur confiance m’a sans doute sauvée. J’ai récupéré mes affaires et je suis partie chez eux. Tout au long du voyage, même en le sachant à plusieurs centaines de kilomètres de là, j’étais terrorisée. J’ai passé quatre mois chez mes parents à frémir à chaque fois que mon téléphone sonnait. Il appelait tous les jours, alternant déclarations d’amour et menaces de mort. J’ai eu la chance d’avoir des parents qui n’ont jamais cessé de croire en moi. Ses appels ont fini par s’espacer et j’ai déménagé pour redémarrer une nouvelle vie.
Avez-vous porté plainte ?
Non, parce qu’au début des années 2000, personne ne l’envisageait. Ça ne m’est même pas venu à l’esprit. Mais aujourd’hui, je dirais sans hésiter à toutes les femmes victimes de violences, quelles qu’elles soient, d’aller porter plainte sans attendre.
À quel moment vous êtes-vous sentie libérée ?
Le chemin de la reconstruction a été ponctué de hauts et de bas. Au départ, j’ai vécu une véritable lune de miel avec moi-même. J’ai trouvé un appartement, du travail et recommencé à vivre. Mais après quelques mois, le traumatisme m’a rattrapée. J’ai voulu me faire aider, et dès la deuxième séance, le thérapeute que j’ai consulté m’a affirmé que j’avais cherché ce qui m’était arrivé. J’ai alors décidé de m’en sortir seule, je me suis mise à écrire et j’ai pensé avoir fait le tour. J’ai rencontré un homme, découvert une relation équilibrée, eu un enfant. Les crises de panique ont repris à ma seconde grossesse. J’ai cette fois entamé une véritable thérapie, avec une femme, et c’est elle qui m’a parlé de viol conjugal. Elle m’a fait comprendre que mon premier petit ami avait forcé mon consentement. La prise de conscience a été très violente. Il m’a fallu encore plusieurs années et une seconde thérapie pour aller jusqu’au bout. À chaque fois, je pensais avoir réglé le traumatisme jusqu’à ce qu’un nouvel événement vienne résonner avec mon histoire. Il m’aura fallu seize ans, mais aujourd’hui, je me considère comme une ancienne victime, et non plus comme une victime. Je me suis complètement reconstruite.
Pourquoi témoignez-vous aujourd’hui ?
À l’époque, l’image de la femme victime de violences conjugales était totalement caricaturale. D’ailleurs on parlait uniquement de femmes battues, pas de violences psychologiques ! Rien, dans mon histoire, n’entrait dans ces cases. Je pense que si j’avais eu accès au témoignage d’une femme ayant vécu une situation similaire à la mienne, j’aurais pu me reconnaître en elle et prendre conscience de ce que je vivais. C’est pour cette raison que je me bats aujourd’hui. J’ai écrit un livre pour raconter mon histoire, « Il me tue cet amour ». Je vais réfléchir, avec une professeure du collège de ma fille, à un moyen de sensibiliser les jeunes, je regarde ce que mettent en place les associations, je dois intervenir auprès d’un groupe de travail composé de professionnels, des policiers jusqu’aux assistantes sociales… J’essaye de porter la parole d’anciennes victimes et je suis extrêmement heureuse de le faire. En tant qu’autrice, j’ai toujours témoigné par l’écrit, mais j’ai aussi besoin d’être dans l’action.
Que souhaiteriez-vous dire aux femmes qui vivent de telles situations ?
Une vie est possible en dehors des violences conjugales. Fuir est la première étape, la reconstruction est la suivante. Le chemin est long, le travail sur soi-même indispensable, mais une autre vie existe ! Ne négligez pas ce travail, faites-vous aider, n’enfermez rien, la mémoire traumatique finit toujours par revenir. Prenez le temps de travailler sur vous-même pour identifier les failles qui ont permis l’emprise d’un prédateur. Soyons clairs, aucune femme n’est jamais coupable, complice ou responsable des actes d’un conjoint violent. Mais il est indispensable de comprendre l’enchaînement pour ne plus jamais accepter une position de soumission, pour réapprendre à faire confiance et à se faire confiance. Mettre des mots sur votre vécu est primordial.
Victimes ou témoins de violences faites aux femmes, des solutions existent.
- Le 3919,
- ArretonsLesViolences.gouv.fr,
- Et, en cas d’urgence, le 17 ou le 114 par SMS.