« Je savais que je devais aller jusqu’au bout »
Deux ans de violences conjugales n’ont pas entamé la force vitale de Malado. Pour sa fille et pour elle-même, elle avance résolument vers un avenir qui n’appartient qu’à elle, après s’être libérée de la brutalité et des manipulations.
Malado, pouvez-vous nous parler de vous ?
J’ai 33 ans et je suis assistante de direction dans une petite entreprise. J’ai toujours été une femme indépendante, très déterminée. En tant qu’aînée d’une fratrie de huit au milieu d’un divorce houleux, j’ai endossé très tôt un rôle d’adulte. Je rêvais d’une vie stable, d’un bon travail, d’une voiture et d’un logement. Le couple n’était pas une priorité pour moi.
Comment avez-vous rencontré votre mari ?
Par une amie mariée à son frère. Forcément, j’étais en confiance, bien que pas intéressée. Il habitait à l’étranger, je sortais d’une longue relation de couple et je ne voulais pas de relation à distance. Puis je suis tombée malade. Pendant ma convalescence, nous avons échangé, il m’a soutenue, même loin, et je suis peu à peu tombée amoureuse. Nous nous sommes mariés en 2015 et quand il est arrivé en France, il s’est installé chez moi. J’ai vite compris qu’il n’était pas celui qu’il prétendait être. Mon indépendance le dérangeait, il critiquait ma façon de m’habiller, mon éducation, mon mode de vie. Puis les violences sexuelles et physiques ont commencé. Il m’imposait des rapports quand il en avait envie, qui n’étaient autres que des viols. Le consentement de sa femme n’avait pour lui aucun sens. Je devais tout lâcher quand il m’appelait, je n’avais pas le droit de lui tourner le dos avant qu’il ait fini de parler, il exigeait que mes propres parents lui demandent l’autorisation avant de me voir. Pour lui, un mari devait compléter l’éducation de sa femme et les coups faisaient partie des moyens à utiliser. D’ailleurs, après avoir été battue, je devais m’excuser de l’avoir mis en colère. Les violences se sont poursuivies quand je suis tombée enceinte et après la naissance de ma fille. Je m’éloignais d’elle dès qu’il s’énervait, puisqu’il n’hésitait pas à me frapper devant elle, même quand je l’avais dans les bras. À la longue, il m’a coupée de ma famille et de mes amis. Il a synchronisé tous les appareils électroniques de la maison pour surveiller mes faits et gestes, seul le travail m’offrait encore un espace de liberté. Il m’appelait en vidéo à l’improviste et épluchait mes appels le soir, mais il n’a heureusement jamais voulu que j’arrête de travailler. Mon salaire l’arrangeait bien.
Comment avez-vous trouvé le courage de dire stop ?
En pensant à ma fille. J’ai fait le premier pas en allant aux urgences un jour où je ne pouvais plus bouger le bras. Je ne voulais pas qu’on me pose de questions, mais la médecin n’a pas été dupe. Elle m’a dit que dans l’état où j’étais, si je ne faisais rien, l’issue serait fatale. Elle m’a remis une brochure contenant des numéros d’urgence comme le 3919, et j’ai fait des recherches sur les associations d’aide aux victimes sur mon téléphone. Il les a repérées en fouillant mon historique. Il m’a alors prévenue qu’il ferait dorénavant attention à ne plus laisser de traces et que si des marques de coups apparaissaient, il me tuerait. J’ai tenu jusqu’au jour où il m’a violentée devant ma fille, un matin avant de l’emmener à la crèche. Après l’avoir déposée, j’ai appelé une association qui m’a dit de porter plainte et je suis allée au commissariat. J’ai failli faire demi-tour, mais je savais que je devais aller jusqu’au bout, pour moi, pour ma fille.
Avez-vous réussi à partir rapidement ?
Rien n’a été simple, mais seul le résultat comptait. J’ai dû rentrer et attendre le lendemain qu’il parte pour faire mes valises. Je suis passée de l’association au tribunal puis à l’assistante sociale, qui m’a trouvé un foyer d’hébergement d’urgence. Pendant ce temps, lui a pris un avocat et entamé des procédures sur la base de mensonges et de calomnies. Heureusement, j’avais quelques preuves, l’attestation du médecin lors de mon passage à l’hôpital et des photos qu’elle m’avait conseillé de prendre, cachées sur mon téléphone professionnel.
Avez-vous été accompagnée ?
Oui, par l’Institut Women Safe. Ils ont fait un travail fantastique. J’étais détruite, physiquement et mentalement, j’avais du mal à mettre des mots sur ce que j’avais vécu. Ils ont su s’adapter à mon rythme. J’ai bénéficié d’un suivi psychologique qui m’a permis de reprendre confiance en moi, de comprendre la gravité de ce qui m’était arrivé, et surtout de me déculpabiliser. Un ostéopathe m’a prise en charge pour soulager les douleurs chroniques, et j’ai aussi pu profiter de l’aide d’un juriste pour comprendre mon dossier. L’association s’investit énormément, du suivi individuel jusqu’aux groupes de parole et aux séances de yoga, afin de s’adapter aux besoins de chaque victime. Ils m’ont offert un bien-être mental et physique que je n’imaginais même plus possible.
Où en êtes-vous aujourd’hui ?
Il a été condamné à un an de prison dont six mois ferme en 2019, mais il a fait appel et une autre procédure est toujours en cours auprès d’un autre tribunal. C’est souvent difficile, c’est un combat. Mais j’ai ma vie, ma famille, mon indépendance. J’ai eu la chance d’être relogée rapidement puisque j’avais une activité professionnelle et, dès le début, j’ai pu confier ma fille à ma mère durant la semaine, pendant que je continuais à travailler et que je vivais en foyer. Je ne voulais pas la voir grandir dans cet univers. C’est ce qui nous a permis de conserver une certaine stabilité. Et j’ai retrouvé ma liberté. Je suis une femme forte, j’ai la tête sur les épaules, j’ai de l’ambition. Pour moi, et pour ma fille.
Que diriez-vous aux femmes qui subissent de telles violences ?
Vous n’êtes pas fautives ! Le problème, c’est lui, pas vous, ne le laissez pas vous convaincre du contraire. Vous ne pourrez jamais aider, sauver ou changer un homme qui vous fait du mal. Consacrez votre énergie à ceux qui la méritent, ceux qui vous aiment vraiment. On n’a qu’une vie, et elle est précieuse. Il est parfois difficile de parler avec des proches, mais nous avons la chance d’avoir des associations formidables qui ne demandent qu’à nous aider. Ne vous renfermez pas sur vous-même. C’est à nous, à notre génération de faire évoluer les mentalités et d’éduquer les enfants pour offrir le même respect à tous, garçon ou fille, quelle que soit l’origine, la religion ou l’ethnie. Et, croyez-moi, se battre pour s’en sortir est moins difficile que de continuer à subir.
Victimes ou témoins de violences faites aux femmes, des solutions existent.
- Le 3919,
- ArretonsLesViolences.gouv.fr,
- Et, en cas d’urgence, le 17 ou le 114 par SMS.