Copier le lien de cette page

Découvrez d’autres témoignages / 3919 / Plateforme d’aide

Reportage photo Sylvia Galmot

« Demander de l’aide, c’est faire la moitié du chemin »

À 50 ans, Christelle redécouvre la douceur d’une relation amoureuse équilibrée. Après des années de violences psychologiques qui l’ont menée au bord du gouffre et, bien que toujours harcelée par son ex-mari, elle a puisé dans son équilibre retrouvé le courage de témoigner.

Bonjour Christelle, pouvez-vous nous raconter votre parcours ?

Je suis infirmière libérale, j’ai une fille adulte, et je suis désormais divorcée depuis plus d’un an. Mon parcours de violences s’est déroulé en deux temps, avec le même homme. La première fois, je me suis installée après six mois chez celui que je prenais pour mon prince charmant. Il s’est métamorphosé dès le premier jour. À l’extérieur, il était charmant, gentil, patient. Dès que la porte se refermait, il se mettait à hurler. J’ai fini par partir, j’ai annulé le mariage prévu et je me suis cachée chez des amis. Aidée par un psychologue, j’ai surmonté une phase de dépression et continué à vivre. Jusqu’à ce que j’achète une maison, cinq ans plus tard, en ouvrant une ligne téléphonique à mon nom. C’est le détail qui lui a permis de me retrouver. Il m’a juré s’être fait soigner et est allé jusqu’à accuser sa sœur pour prouver son histoire. Je l’ai cru… Nous nous sommes remis en couple et il a été parfait pendant deux ans, jusqu’au mariage. Le matin même, il a eu une « crise ». Il s’est excusé, j’étais dans le stress des préparatifs, j’ai laissé passer, et c’était terminé. Sitôt que nous avons été mariés, les violences verbales sont allées crescendo, tous les mois, puis toutes les semaines, puis tous les jours. Le dernier mois, il me réveillait en pleine nuit pour m’invectiver, et tous les prétextes étaient bons. Même quand je tentais d’exprimer ma souffrance, il s’énervait. Il m’appelait plusieurs dizaines de fois par jour, me dénigrait et m’humiliait. Il m’a isolé de mes proches, il m’empêchait de voir ma famille, mes amis et même ma fille, tout en me répétant qu’il m’aimait à longueur de temps.

Comment avez-vous trouvé la force de partir ?

Observer le comportement d’un couple de proches m’a ouvert les yeux, j’ai réalisé que ce que je vivais n’était pas normal, qu’il existait autre chose. J’ai pris conscience que quelque chose n’allait pas. Je parlais avec ma mère et ma sœur, j’avais même pris rendez-vous avec un thérapeute spécialisé… dans l’espoir de sauver mon couple, mais physiquement, j’étais à bout. J’avais perdu du poids, j’avais des ennuis cardiaques. J’en arrivais à penser que le suicide était la seule issue possible. Puis mon cardiologue a fini par me dire que rien ne s’améliorerait tant que je subirais du stress dans ma vie privée. Que mon corps, mon cœur n’avaient pas à endurer ça. Un jour, j’ai préparé mes affaires et chargé ma voiture en son absence. Le lendemain, je suis allée travailler comme si de rien n’était puis quand je suis rentrée, j’ai pris mon chien et ma trousse de toilette. Là, il a compris. Il a hurlé, m’a poursuivie jusqu’à la voiture, mais j’ai claqué la portière et je suis partie.

Avez-vous porté plainte ?

La toute première fois, après l’avoir quitté, j’ai essayé. À l’époque, la police n’agissait pas sans blessures visibles, et je n’ai même pas pu déposer de main courante. La seconde fois, j’ai commencé par la procédure de divorce. J’ai été très mal conseillée par mon avocate, selon qui porter plainte pourrait faire traîner la procédure. Pire, elle m’a affirmé après avoir obtenu le divorce que je ne pourrais plus porter plainte avant qu’il s’en prenne de nouveau à moi. Ce qui était faux. Je ne l’ai appris que lorsque le harcèlement a repris, lors du premier confinement. Il a recommencé à m’appeler, il s’est présenté à mon cabinet, chez mes collègues, chez mes patientes, chez les commerçants voisins. Il a abîmé la façade du cabinet, arraché mes essuie-glaces, déposé des colis contenant des insectes morts. Cette fois, j’ai porté plainte. Malheureusement, je n’ai aucune nouvelle, rien n’avance et je vis à nouveau sous tension. J’espère que la situation se débloquera avant qu’il ne vienne physiquement vers moi. Mais je ne le laisserai pas gagner. Je refuse de déménager, de tout quitter à cause de lui.

Êtes-vous aidée pour avancer ?

J’ai eu la chance d’être très entourée par ma famille et mes amis, qui ont resserré les rangs dès que je l’ai quitté. J’ai aussi fait une première partie du travail avec le psychologue qui était censé sauver mon couple, et qui finalement m’a aidée à décortiquer le comportement dont j’avais été victime. J’ai compris que le problème ne venait pas de moi, mais de lui. Pourtant lorsque le harcèlement a repris, ce n’était plus suffisant. Sur les conseils de mon meilleur ami, j’ai appelé le 3919. Je suis tombée sur une femme à l’écoute, patiente et bienveillante, qui m’a aiguillée vers l’Institut Women Safe. Ils m’ont rappelée presque aussitôt. C’est grâce à eux que je suis allée porter plainte. Grâce à eux, aussi, que j’ai compris avoir été victime de violences. Je n’ai jamais subi d’atteintes physiques, je ne me sentais pas légitime. Le problème, c’est qu’en conséquence, je ne me sentais pas non plus légitime pour réclamer de l’aide. En travaillant avec eux, j’ai réalisé que l’impact était le même. Il est impossible d’imaginer ce genre d’emprise psychologique tant qu’on ne l’a pas vécu. Je vivais dans un stress permanent, en tentant d’éviter des crises qui étaient inévitables et en me croyant coupable de tout ce dont il m’accusait. Ce sont des violences invisibles, insidieuses, mais ce sont bel et bien des violences qui laissent des traces. Les bleus marquent l’âme plutôt que le corps.

Comment vous sentez-vous aujourd’hui ?

Je vais tellement mieux ! Mais je ne pourrai pas être en paix tant que ma plainte n’aura pas abouti, sachant qu’il peut surgir dans ma vie et dans mon quotidien n’importe quand. Je souffre encore de stress post-traumatique, et je suis à nouveau sous traitement cardiaque depuis que le harcèlement a repris. Et pourtant, je vis. Je ne prends plus de médicaments pour dormir, j’aime mon travail, je suis en couple avec un homme qui me respecte, je suis proche de ma famille. Ma sœur envisage même d’aider les associations. Je continue à travailler avec l’Institut Women Safe, qui met en place des thérapies alternatives pour m’aider à gérer mon stress. Et j’y crois. Je suis persuadée que j’irai de mieux en mieux.

Quel message aimeriez-vous faire passer aux femmes victimes de violences ?

N’ayez pas honte ! Osez dire les choses, osez demander de l’aide. Votre comportement est normal, c’est celui de l’autre qui ne l’est pas. Appelez le 3919. Demander de l’aide, c’est déjà faire la moitié du chemin. On pense souvent ne pas en être capable, pourtant, on l’est. Il ne manque qu’un coup de pouce. D’ailleurs, j’aimerais aussi faire passer le message à celles et ceux qui croisent des femmes comme moi. Au moindre doute, proposez de l’aide, tendez la main. La personne en face ne sera pas forcément prête à parler, ou n’aura pas forcément besoin d’aide. Mais au pire, la réponse sera non. Alors qu’au mieux, vous pourriez aider une personne en souffrance. Si vous souhaitez aller plus loin, n’hésitez pas à proposer votre aide aux associations, même sans compétences particulières dans ce domaine. La bienveillance et l’envie d’aider suffisent. Tendre la main ne coûte rien et peut tout changer.

Victimes ou témoins de violences faites aux femmes, des solutions existent.

Photo Sylvia Galmot

« La réparation est possible »

« Ma bouche de métal ne m’empêche ni d’embrasser la vie, ni de continuer à aimer les hommes. » Voilà comment Sandrine Bonnaire résume aujourd’hui le chemin qui l’a menée à la création de son association, La Maison des Âmes.

Rien, dans les quatre ans partagés avec son compagnon de l’époque, n’a laissé présager ce qui s’est produit. Ce soir-là, lorsque la dispute s’envenime, il se jette sur elle, la plaque au mur et la strangule jusqu’à ce qu’elle perde connaissance. Elle se réveille allongée sur le flanc deux mètres plus loin, en sang. Il lui affirme qu’elle est tombée. Dans le miroir, l’actrice découvre son visage déformé, sa langue déchirée, ses huit dents cassées et une plaie de cinq centimètres sous le menton. Une triple fracture de la mâchoire lui sera diagnostiquée aux urgences où l’emmène son beau-frère, alors que son compagnon s’obstine à prétexter une chute d’un hôpital à l’autre, jusqu’à ce qu’elle le congédie.

Opérée en urgence, elle reste paralysée durant plus de deux mois, alimentée à la paille puis soumise à de longues séances de rééducation. Lorsqu’elle consulte un spécialiste, il confirme ses doutes : une simple chute n’aurait pas pu provoquer la blessure. Elle porte plainte. Convocation, confrontation, mensonges. Le premier procès aboutit à une condamnation à deux ans de prison avec sursis assortis d’une indemnité financière, une peine à laquelle l’appel du procureur ne changera rien. L’agresseur fait lui aussi appel, puis abandonne, ce qui le rend, de fait, coupable. Il ne livre pourtant aucune explication sur ce qu’a subi l’actrice durant ces quelques minutes d’inconscience. Le second jugement confirme le premier. Quatre ans d’analyse, la volonté de parler et un entourage à l’écoute auront aidé l’actrice à s’en sortir, en dépit des douleurs qui subsistent et des plaques en titane dans sa mâchoire. Sa plus grande souffrance n’est d’ailleurs pas son propre traumatisme, mais celui de sa fille de 7 ans à l’époque des faits, à laquelle elle a d’abord tu la vérité en pensant la protéger. Jusqu’à comprendre, au contraire, que les bons mots la libéreraient.

En 2019, son engagement sort de la sphère privée lorsque l’histoire se répète. Sa nièce subit une agression similaire. Des coups au visage, la volonté de détruire, une autre génération mais la même violence. L’envie d’agir est là, participer à la marche des femmes du 23 novembre 2019 est une évidence. Interviewée, l’actrice assume et raconte. Depuis, elle travaille à la création de son association, La Maison des Âmes, avec des partenaires merveilleux, femmes et hommes, dit-elle, et l’espoir de réparer les âmes sans clivage de genre. Son message ? « Parlez, portez plainte, envoyez l’autre à la barre des accusés. C’est à lui d’avoir honte. Le traumatisme ne disparaît pas complètement, mais la réparation est possible. Retrouver goût à la vie, aussi. »

> lamaisondesames.com

Découvrez d’autres témoignages