« La honte peut changer de camp »
Après cinq ans de violences et un long parcours judiciaire médiatisé, Laura Rapp a obtenu la condamnation de son ex-conjoint et la déchéance de ses droits parentaux. Un fait rare, aboutissement d’un chemin semé d’embûches et de belles rencontres qui lui ont permis de ne jamais perdre espoir.
Laura, pouvez-vous vous présenter ?
J’ai 32 ans et j’ai une petite fille de 5 ans. Il y a encore deux mois, j’étais attachée commerciale dans l’immobilier. J’ai arrêté pour me concentrer sur d’autres projets, et je compte me lancer bientôt en indépendante.
Comment s’est déroulée votre histoire ?
Tout juste diplômée, j’ai rencontré un homme sur mon lieu de travail. Un vrai coup de foudre. Les premières violences se sont manifestées assez rapidement. Psychologiques et insidieuses dans un premier temps, des insultes sous l’emprise de l’alcool. La première gifle a eu lieu après quatre ou cinq mois de vie commune. Il s’est excusé le lendemain, mais quand il a acheté un appartement et m’a demandé d’y emménager avec lui, j’ai hésité. Puis nous sommes partis en vacances, le séjour a été idyllique et j’ai emménagé chez lui au retour. Le premier soir, il m’a violemment signifié qu’à partir de maintenant, j’étais chez lui et n’avais plus mon mot à dire. Sa violence n’a fait que s’accroître par la suite. Il découchait, rentrait ivre, m’étranglait, m’humiliait. Entre les crises, il y avait de bons moments auxquels je me raccrochais, d’autant qu’il avait toujours une excuse, entre l’alcool, les soucis professionnels ou son enfance, puisque son père frappait sa mère. La première fois que la police est intervenue, je n’ai pas osé porter plainte. Mais j’ai fini par le quitter, sans cesser de le côtoyer puisque nous travaillions dans le même milieu. Quatre mois plus tard, j’ai cru ses promesses et nous nous sommes réconciliés. Je suis tombée enceinte. Les coups ont repris à mon cinquième mois de grossesse. Après mon accouchement, pour lui, je lui appartenais. Je prenais les coups pour éviter qu’il s’approche de ma fille. La police est intervenue deux fois de plus, mais j’avais peur pour ma fille, je pensais que s’il en obtenait la garde, il la tuerait. Jusqu’à cette dernière nuit d’avril, durant laquelle il m’a étranglée devant elle, alors qu’elle avait 2 ans et demi. Des voisins m’ont sauvée la vie en frappant à la porte. Cette fois, j’ai porté plainte et il a été placé en détention provisoire pour tentative d’homicide.
Quelle a été l’étape suivante ?
J’ai entamé un très long parcours juridique. Il a été libéré avec un simple contrôle judiciaire et l’interdiction de reprendre contact avec nous. Il a menti sur son lieu de résidence, violé son contrôle judiciaire et, le comble, m’a assignée aux Affaires Familiales. Le centre de loisirs de ma fille m’a appris qu’il la cherchait, je suis tombée sur lui devant chez mes parents…
Comment la situation s’est-elle débloquée ?
Les réseaux sociaux m’ont sauvée ! Il s’y passe parfois de belles choses. Mes avocates avaient utilisé tous les recours possibles, je passais mes nuits sur le code pénal et il était toujours dehors après plus de deux mois en infraction de son contrôle judiciaire. Je nous sentais en danger sans aucun moyen de nous protéger, ma fille et moi. J’ai contacté un député, Aurélien Pradié, qui m’a répondu dans les vingt-quatre heures. J’ai appelé à l’aide sur Twitter et mon message a été relayé dans la presse. Grâce à la médiatisation, tout s’est accéléré. Il a été replacé en détention provisoire une semaine après mon tweet. Le procès a eu lieu en décembre 2019, et il a été condamné pour tentative d’homicide à 8 ans de réclusion criminelle et cinq ans de suivi judiciaire. Ensuite, je me suis battue pour ma fille, avec mes avocates, parce qu’elle était victime elle aussi. Elle a été témoin des violences à mon encontre et souffre d’un syndrome post-traumatique très sévère, diagnostiqué par les psychiatres. Bon nombre d’auteurs de violences conjugales en ont eux-mêmes été victimes enfant. Briser la chaîne, c’est aussi porter la voix de ces enfants, trop souvent oubliés. Et j’ai réussi. En septembre 2020, mon ex-conjoint a été déchu de ses droits parentaux.
Comment vous sentez-vous aujourd’hui ?
Je vais mieux, ma fille va mieux, nous reprenons peu à peu une vie normale. Mon parcours a été compliqué, je suis tombée, je me suis relevée, mais je ne regrette rien. Tout au long du chemin, il y a eu des personnes bienveillantes auxquelles j’ai pu me raccrocher, même brièvement, pour entretenir l’espoir. Les voisins qui sont intervenus, Mᵉ Tomasini, mon avocate, Aurélien Pradié, le député qui m’a entendue, Sofia, une militante Femen qui m’a conseillée sur la façon d’interpeller les médias, Karen Sadlier, la victimologue qui a merveilleusement aidé ma fille, les psychiatres et pédopsychiatres qui nous ont toutes les deux entourées… Sans oublier mes parents qui ont tout encaissé sans jamais nous lâcher. Ils sont bien plus que des grands-parents pour ma fille, et ils me donnent eux aussi la force de continuer.
Qu’aimeriez-vous dire aux femmes qui vous lisent ?
N’abandonnez jamais. Je sais à quel point c’est difficile, mais battez-vous pour vous, pour les gens qui vous entourent, pour ceux qui veulent vous aider. Ça en vaut la peine ! Il est possible de s’en sortir, c’est le propre de l’être humain, cette capacité à se relever. D’autant que les mentalités évoluent, il est désormais plus facile de parler. La honte change de camp. Donc vraiment, accrochez-vous. Il y a toujours une lumière au bout du tunnel. Même quand elle est loin, elle est là.
Victimes ou témoins de violences faites aux femmes, des solutions existent.
- Le 3919,
- ArretonsLesViolences.gouv.fr,
- Et, en cas d’urgence, le 17 ou le 114 par SMS.