« Faites-vous confiance »
Après plusieurs décennies d’abus sexuels et psychologiques, Anna a su trouver, à plus de 50 ans, la force de partir. Désormais libre, elle réapprend à vivre à son rythme, soutenue par ses enfants et accompagnée par l’Institut Women Safe.
Anna, pouvez-vous nous raconter comment les violences sont entrées dans votre vie ?
Elles se sont installées très progressivement, au point qu’elles sont longtemps passées inaperçues. Lorsque je me suis mariée, tout allait bien dans mon couple. Essentiellement parce que je ne disais jamais non. Les problèmes ont débuté quand j’ai commencé à m’affirmer et à refuser, notamment les relations sexuelles. Il insistait, m’intimidait ou me culpabilisait jusqu’à ce que je me laisse faire. Je me sentais coupable, vaguement honteuse, j’avais l’impression de ne pas être à la hauteur de ses attentes. Le sexe est devenu une obligation. Il gagnait à l’usure, mais l’impact psychologique était lourd. Tout se passait la nuit, sans témoin, et c’était pire quand il buvait. Au fil des années, nous avons eu deux enfants, et la situation a empiré. J’étais de plus en plus fatiguée, il était de plus en plus insistant. Il alternait jours de déprime et crises de colère, me menaçait de représailles physiques ou de m’écarter de mes enfants si je le quittais. J’ai souvent eu envie de fuir, mais je n’avais aucune solution de repli, je ne savais pas où aller. Et je n’avais pas de bleus, je n’étais pas battue, rien n’était visible. J’étais « seulement » abusée. Je me sentais illégitime. Je lui ai parlé plusieurs fois, je lui ai expliqué que je me sentais violée, que la situation ne pouvait pas durer. Plus grand, mon fils a lui aussi exprimé son mal-être face à cette atmosphère lourde de non-dits. Les enfants ne voyaient rien, mais ils ressentaient tout, et mon mari se montrait souvent dur avec eux. En cas de confrontation, il s’excusait vaguement, promettait de se faire soigner, arrêtait de boire quelques mois. Il a même fini par consulter un psychiatre qui a décelé des troubles psychiques. Mais il recommençait toujours.
Comment avez-vous réussi à partir ?
J’ai fait plusieurs tentatives. J’ai compris que je devrais me débrouiller. Un jour, mon fils déjà grand m’a trouvé coincée contre un mur par mon mari. Je lui ai demandé de m’emmener, et je suis allée chez ma sœur qui m’a hébergée quelque temps dans son studio. Mais à deux dans un 17 m², sachant que mon métier de soignante implique des horaires décalés, j’étais épuisée. Je retournais dormir à la maison quand mon mari était absent et, de fil en aiguille, entre suppliques et chantages au suicide, j’ai fini par rester. Puis j’ai vu une émission de télévision sur l’Institut Women Safe et j’ai noté leurs coordonnées. Je les ai conservées longtemps dans mon portefeuille. J’ai finalement pris rendez-vous, et ce que je n’espérais même pas est arrivé : ils m’ont entendue. J’avais moi-même du mal à me faire confiance, j’étais persuadée que personne ne me croirait. Mais ils m’ont crue, et c’était essentiel. Le soir où mon mari m’a poursuivie puis traînée dans la rue en pleine nuit en me menaçant, sans qu’aucune voiture ne s’arrête pour m’aider, je me suis enfin préparée à partir.
Avez-vous reçu de l’aide ?
Je dois beaucoup à mes enfants. Ils m’ont eux-mêmes trouvé un studio. Mon mari surveillant tout, je ne pouvais faire aucune démarche moi-même. Ils ont cherché, visité, m’ont aidée à payer la caution avec leurs propres économies. Quand il a compris, il a fait une crise, mais je suis partie malgré tout. J’ai dû mentir en promettant de revenir s’il se faisait soigner, c’était le prix de ma liberté. Mon fils habitait chez un membre de la famille pour ses études, mais j’étais inquiète pour ma fille qui a dû rester. Je me suis battue et, quelques mois plus tard, j’ai réussi à louer un petit appartement, mais assez grand pour qu’elle s’installe avec moi. Tout du long, Clémence de l’Institut Women Safe est restée à mes côtés. Elle m’a écoutée, soutenue, m’a aidée à accepter que ce que je ressentais. Et j’ai aussi tenu un journal après chaque crise, pour ne pas refouler les souvenirs difficiles. Écrire m’a permis de mieux comprendre ce qui m’arrivait.
Comment vous sentez-vous aujourd’hui ?
C’est très récent. Je n’ai pas porté plainte, je n’ai pas encore réussi. Je ressens toujours le besoin de le protéger, j’ai encore du mal à me sentir légitime et je ne me sens pas prête à vivre la violence de la procédure juridique. Je n’ai pas non plus entamé la procédure de divorce, faute de moyens, et je paye une partie des charges de notre maison commune en plus de mon loyer. Mais je dors mieux, je n’ai plus peur pour mes enfants, je suis avec ma fille. Women Safe m’apporte toujours un soutien psychologique et juridique formidable. Et je n’ai plus à subir les crises de mon mari. Même s’il m’appelle, je peux raccrocher !
Qu’aimeriez-vous transmettre de votre histoire ?
Il faudrait expliquer aux jeunes, garçons ou filles, que le corps de chacun lui appartient. Que le consentement ne se force pas, que personne n’a le droit d’abuser de quelqu’un d’autre. C’est un message qui devrait être clairement édicté et enseigné. Beaucoup d’entre nous ignorent qu’un conjoint ne peut pas tout se permettre. J’aurais aussi aimé ne pas être écartée des aides au logement social simplement parce que je ne suis pas divorcée.
Quel message souhaiteriez-vous faire passer aux victimes ?
Faites-vous confiance ! Ne doutez pas de ce que vous ressentez, ce qui vous arrive n’est pas votre faute. Si vous vous sentez malheureuse dans votre couple, écoutez-vous. Si vous le pouvez, tenez un journal et relisez-le pour prendre du recul. La vie de couple n’est pas un renoncement, vous avez droit au respect de votre intégrité. Protégez-vous. Je ne l’ai pas utilisé, mais le 3919 est un bon outil. Si votre conjoint vous fait souffrir, ce n’est pas normal. Dites-le.
Victimes ou témoins de violences faites aux femmes, des solutions existent.
- Le 3919,
- ArretonsLesViolences.gouv.fr,
- Et, en cas d’urgence, le 17 ou le 114 par SMS.