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Reportage photo Sylvia Galmot

« Il y aura toujours quelqu’un pour vous tendre la main »

Enseignante passionnée par son métier, Laurence est une femme heureuse, mariée depuis vingt ans et mère de deux enfants. Une nouvelle vie qu’elle a construite après la violence et les dénigrements auprès d’un conjoint abusif.

Laurence, quel est votre parcours ?

J’ai rencontré mon mari quand j’avais 18 ans. Il en avait 23, nous étions voisins. Nous nous sommes installés très rapidement ensemble. Je ne m’en suis pas immédiatement rendue compte, mais au fil des années, il a fait le vide autour de moi. Au début, les violences étaient psychologiques, il décidait de tout, de ce que je devais porter ou de qui je devais voir, me dénigrait constamment. Puis nous avons eu une petite fille. À sa naissance, j’ai commencé à changer. J’avais de nouvelles responsabilités, je m’affirmais, je devenais femme. Il perdait son emprise, ce qui ne lui a bien évidemment pas plu. Il me rabaissait en permanence, me trompait, et je savais déjà que je ne voulais pas voir ma fille grandir dans un tel climat. J’avais perdu ma joie de vivre, je ne rentrais que pour elle et même là, l’ombre de mon mari pesait sur chaque instant heureux. Puis est arrivée la première gifle, tellement inattendue que je n’ai pas compris. Il s’est excusé en pleurant et je lui ai pardonné. La deuxième fois, j’ai pensé que je ne voulais pas de cette vie, mais je suis restée. La troisième, il m’a frappée devant ma fille après l’avoir écartée violemment. Elle a aujourd’hui 22 ans, et s’en souvient encore. Quand elle s’est mise à hurler, le déclic a été immédiat. J’ai frappé mon agresseur en retour, il est parti. J’ai pris ma fille et je suis retournée chez mes parents. Je ne pouvais plus rester. J’ai déposé une main courante pour l’empêcher de m’accuser d’abandon du domicile conjugal, mais je n’ai pas porté plainte. Tout s’est ensuite enchaîné jusqu’au divorce.

Avez-vous parlé à vos proches ?

Pas immédiatement. J’ai d’abord prétendu que je ne l’aimais plus, mes parents n’avaient pas la moindre idée du fait qu’il m’avait frappée. Mon père est impulsif et j’avais peur qu’en voulant me défendre, il n’ait un geste qui aurait eu des conséquences sur sa vie, à lui. Mais quelques mois après, en plein divorce, j’ai rencontré quelqu’un. Ils avaient du mal à comprendre et j’ai fini par leur dire la vérité. J’ai aussi beaucoup parlé avec mon frère et ma belle-sœur dont je suis très proche. Et mon nouveau compagnon m’a beaucoup aidée. J’ai eu de la chance, j’ai un noyau familial soudé, mes parents m’ont accueillie à bras ouverts et m’ont soutenue à chaque étape, y compris financièrement, jusqu’à ce que je retrouve un appartement. J’ai avancé assez vite. Mais deux ans plus tard, alors que je m’apprêtais à m’installer à nouveau en couple, tout est remonté.

Comment avez-vous réussi à avancer ?

J’ai été suivie par une psychologue quelque temps, mais son approche ne me convenait pas, à ce moment-là. Elle voulait ressasser, je voulais avancer, elle voulait que je parle, je voulais échanger… J’ai abandonné alors que j’aurais sans doute dû creuser, mais j’étais à un tournant, j’ai choisi de le prendre. Et là encore, j’ai eu la chance de partager la vie d’une personne exceptionnelle. Je suis mariée depuis vingt ans, nous avons eu un enfant ensemble, ma fille va bien, j’ai fini par tourner la page. Je n’oublierai jamais mais cet épisode fait partie de mon passé, d’autant que cet homme reste le père de ma fille. Je suis enseignante, de ce fait je côtoie également des enfants dans des situations familiales difficiles, j’ai une obligation d’alerter.

Que pensez-vous des dispositifs d’écoute qui existent aujourd’hui ?

Je les trouve essentiels. Personnellement, je n’ai pas utilisé le 3919, mais je suis entièrement pour. Il faut parler de ces outils, dire aux femmes qu’ils existent, qu’il y a des personnes bienveillantes prêtes à les écouter sans jamais mettre leur parole en doute. Parce que c’est ce qui arrive beaucoup trop souvent. Les gens se basent sur le paraître, un sourire, un geste, un mot qui les rassure. Ils entendent ce qu’ils veulent bien entendre. Pourtant, personne ne sait jamais ce qui se passe derrière une porte fermée, et les personnes en souffrance savent généralement très bien donner le change. Au moindre doute, creusez, ne vous arrêtez pas à ce que vous voyez, ne vous contentez pas d’une seule version. Et quoi qu’il arrive, ne doutez jamais de ce que vous confient les victimes. Femme, homme, enfant, tous les appels au secours doivent être entendus.

Que souhaiteriez-vous dire à celles et ceux qui en sont victimes ?

Exprimez-vous ! Qu’elle soit psychologique ou physique, la violence n’est jamais normale, il ne s’agit pas d’amour. Quand on aime une personne, on la valorise. Et si vous en avez besoin, il y aura toujours quelqu’un pour vous tendre la main.

Victimes ou témoins de violences faites aux femmes, des solutions existent.

Photo Sylvia Galmot

« La réparation est possible »

« Ma bouche de métal ne m’empêche ni d’embrasser la vie, ni de continuer à aimer les hommes. » Voilà comment Sandrine Bonnaire résume aujourd’hui le chemin qui l’a menée à la création de son association, La Maison des Âmes.

Rien, dans les quatre ans partagés avec son compagnon de l’époque, n’a laissé présager ce qui s’est produit. Ce soir-là, lorsque la dispute s’envenime, il se jette sur elle, la plaque au mur et la strangule jusqu’à ce qu’elle perde connaissance. Elle se réveille allongée sur le flanc deux mètres plus loin, en sang. Il lui affirme qu’elle est tombée. Dans le miroir, l’actrice découvre son visage déformé, sa langue déchirée, ses huit dents cassées et une plaie de cinq centimètres sous le menton. Une triple fracture de la mâchoire lui sera diagnostiquée aux urgences où l’emmène son beau-frère, alors que son compagnon s’obstine à prétexter une chute d’un hôpital à l’autre, jusqu’à ce qu’elle le congédie.

Opérée en urgence, elle reste paralysée durant plus de deux mois, alimentée à la paille puis soumise à de longues séances de rééducation. Lorsqu’elle consulte un spécialiste, il confirme ses doutes : une simple chute n’aurait pas pu provoquer la blessure. Elle porte plainte. Convocation, confrontation, mensonges. Le premier procès aboutit à une condamnation à deux ans de prison avec sursis assortis d’une indemnité financière, une peine à laquelle l’appel du procureur ne changera rien. L’agresseur fait lui aussi appel, puis abandonne, ce qui le rend, de fait, coupable. Il ne livre pourtant aucune explication sur ce qu’a subi l’actrice durant ces quelques minutes d’inconscience. Le second jugement confirme le premier. Quatre ans d’analyse, la volonté de parler et un entourage à l’écoute auront aidé l’actrice à s’en sortir, en dépit des douleurs qui subsistent et des plaques en titane dans sa mâchoire. Sa plus grande souffrance n’est d’ailleurs pas son propre traumatisme, mais celui de sa fille de 7 ans à l’époque des faits, à laquelle elle a d’abord tu la vérité en pensant la protéger. Jusqu’à comprendre, au contraire, que les bons mots la libéreraient.

En 2019, son engagement sort de la sphère privée lorsque l’histoire se répète. Sa nièce subit une agression similaire. Des coups au visage, la volonté de détruire, une autre génération mais la même violence. L’envie d’agir est là, participer à la marche des femmes du 23 novembre 2019 est une évidence. Interviewée, l’actrice assume et raconte. Depuis, elle travaille à la création de son association, La Maison des Âmes, avec des partenaires merveilleux, femmes et hommes, dit-elle, et l’espoir de réparer les âmes sans clivage de genre. Son message ? « Parlez, portez plainte, envoyez l’autre à la barre des accusés. C’est à lui d’avoir honte. Le traumatisme ne disparaît pas complètement, mais la réparation est possible. Retrouver goût à la vie, aussi. »

> lamaisondesames.com

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